mardi 11 juin 2013

“Ce fantôme de pierre, c'est le maître, c'est le roi” (Henri Paul Charles Baillière - XIXe s.- à propos du Sphinx de Guizeh)

Dans son journal de voyage En Égypte : Alexandrie, Port-Saïd, Suez, Le Caire, le libraire-éditeur parisien Henri Paul Charles Baillière (1840-1905) se montre très réservé sur la destination des pyramides égyptiennes et l’origine du Sphinx. Les théories globalement admises ne lui conviennent pas. Les points d’interrogation se succèdent les uns aux autres, avec pour toute conclusion un énigmatique “On ne sait rien - rien de certain au moins”. Puis l’auteur de compléter avec quelque solennité, afin de donner à sa réflexion une tournure plus positive : “En présence de ces monuments, l'homme n'est pas plus que le grain de sable du désert qui les entoure.”


“Les fouilles entreprises pour déblayer la base du Sphinx ont mis à  découvert quatre lions, dont un fut vendu à  un Anglais, et dont les trois autres ont été depuis cachés par le sable ; elles n'ont du reste rien appris : est-ce le dôme d'un temple ? Est-ce un rocher naturel dont l'art a régularisé les formes ? On ne sait ; on croit, depuis qu'on a lu le nom de Theutmosis IV, gravé sur le granit, que c'est là  son image.
Ce monolithe date des bonnes époques de la sculpture égyptienne.
Mais quelle en est la signification?
Ce n'est pas un être mystérieux, car c'est là  encore un préjugé grec imposé par ce peuple vantard et vaniteux. Les Grecs ne lui ont attribué ce caractère que par une fausse association d'idées : celle du Sphinx, qui avait eu l’Egypte pour première patrie et celle
du mystère, qui enveloppait tout ce pays et s'attachait à tout ce qui en venait.
Ce n'est pas une femme, comme le sont les Sphinx grecs.
Ce n'est pas un nègre, ainsi qu'on l'a dit : le type africain domine dans ses traits ; mais il était peint en rouge et, çà et là , on voit encore subsister des traces de cette couleur indélébile.
Ce fantôme de pierre, c'est le maître, c'est le roi ; malgré les proportions colossales, le contour est pur, l'expression est douce et gracieuse, sereine et paisible, pleine de calme et de repos, pleine aussi d'une majesté singulière ; le regard a une profondeur qui trouble, une fixité qui fascine i
Il n'est vent de sable au désert
Qui lui fît baisser la paupière.

Ses yeux tournés vers l'Orient semblent épier l'avenir ; ses oreilles semblent recueillir les bruits du passé ; le nez écrasé a été horriblement mutilé ; la bouche, malgré l’épaisseur des lèvres, a de la délicatesse ; le seul reproche à  lui faire, c'est que la tête, belle de simplicité et de naturel, manque de style, c'est-à-dire de ces lignes droites et hardies, qui donnent tant d'expression aux figures sous lesquelles la Grèce représentait ses dieux et ses déesses, et dont elle ne trouva la divine pureté que dans les marbres de Paros ou du Pentélique.”

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